Par Michel Chabot CRHA, Conseiller associé en santé et sécurité du travail & Fanny Demousseau, Avocate
Bien que le télétravail soit pratiqué au Québec depuis plusieurs années, la pandémie a favorisé une croissance phénoménale du nombre de nouveaux télétravailleurs. Auparavant, souvent un choix personnel du travailleur, autoriser par l’accommodement de l’employeur, la pandémie a rendu cette flexibilité par une obligation gouvernementale de travail dans plusieurs organisations.
La technologie qui avait permis à de nombreux travailleurs de rester à la maison tout en étant relié au bureau par téléphone, cellulaire, ordinateur, VPN, courrier électronique a littéralement été améliorer par la facilité d’utilisation de nouvelle plateforme de communication tel que ZOOM, Teams, Webex, etc. Les visioconférences sont désormais intégrées dans nos vies!
Pour les travailleurs, le télétravail offre de nombreux avantages tels que la flexibilité des horaires de travail, plus de souplesses dans l’organisation des tâches, économie de temps, de frais de transport, de frais de restaurants et bien attendu, pour plusieurs, moins de distractions venant de collègues!
Les inconvénients sont aussi importants. Plusieurs travailleurs se plaignent qu’ils font plus d’heures de travail, qu’ils se sentent souvent isoler, qu’ils manquent de valorisation et/ou d’encadrement.
L’employeur doit donc se montrer collaboratif et créatif au niveau de l’organisation du travail du télétravailleur. Le bureau a domicile devrait idéalement répondre aux mêmes normes de santé et de sécurité que ceux offert par le bureau conventionnel. Le bureau, la chaise et les autres éléments du mobilier doivent permettre un certain niveau d’ajustement.
Les mêmes obligations s’appliquent en télétravail et dans les locaux de l’organisation. L’employé doit aménager à son domicile un espace de travail lui permettant d’effectuer ses tâches d’une façon efficace et sécuritaire comme s’il était au bureau. L’employé doit donc installer son environnement de travail dans une pièce permettant de faciliter la concentration et bien attendu, d’avoir une entente avec les membres de la famille de respecter votre temps de travail.
Actuellement, aucune loi ne légifère l’encadrement du télétravail. Il y a donc tant de choses à bâtir, tant pour le bien-être des télétravailleurs que pour le maintien de la productivité des employeurs.
Dans ce contexte, bon nombre de questionnement en matière de santé et sécurité au travail voient le jour. Une approche innovante face au droit du travail s’envisage afin de répondre au mieux à cette nouvelle réalité. En effet, jusqu’alors les travailleurs exécutaient principalement leurs tâches directement dans les locaux de l’employeur. Or, dans l’ère du télétravail, la notion de lieu de travail ne rime plus forcément avec établissement de l’employeur. Cependant, il est important de noter que la notion de « lieu de travail » faisait déjà l’objet d’une interprétation large et libérale. D’ailleurs, la jurisprudence du Tribunal administratif du travail a établi depuis plusieurs années que la notion de « lieu du travail » est « l’endroit physique où le travailleur exécute son travail, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement ou même de la propriété de l’employeur ».
Qu’en est-il de la responsabilité de l’employeur en matière de prévention en santé et sécurité. L’article 51 LSST[1] prévoit notamment qu’il doit s’assurer que l’organisation du travail, les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur. Il doit aussi contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur. Or, dans un contexte de télétravail, l’employeur se retrouve confronté à un degré amoindri de contrôle et de supervision du milieu de travail. Il est donc légitime de se demander si l’employeur pourrait avoir accès à cet endroit afin de s’assurer de la conformité des lieux, et le cas échéant, afin de les inspecter à la suite d’un accident du travail. Se pose donc l’enjeu du droit de gérance de l’employeur face au droit à la vie privée du travailleur.
L’une des réponses à cette nouvelle réalité est l’élaboration d’une politique de télétravail. Il s’agit d’un outil qui pourrait s’avérer très avantageux. En effet, selon l’Avis sur le télétravail du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre[2], la rédaction d’un tel document pourrait permettre aux employeurs ainsi qu’aux travailleurs de prévoir les modalités relatives au télétravail, tel que :
- Mentionner que les mêmes règles en santé et sécurité s’appliquent pour tous les employés qu’ils soient en télétravail ou non;
- Permettre l’accès au poste de travail pour s’assurer de la conformité des lieux;
- Déterminer les moyens possibles pour accéder au lieu de télétravail;
- Prévoir un délai raisonnable pour accéder au lieu de télétravail à la suite d’un accident du travail.
De plus, la politique devrait préciser certains éléments touchant la santé et la sécurité :
- Est-ce que l’employeur pourrait avoir accès à la résidence pour effectuer des inspections de sécurité? Ou est-ce que le travailleur pourrait remplir une grille d’inspection et fournir des photos de son aire de travail?
- Suite à une lésion professionnelle, l’employeur pourrait-il avoir accès à la résidence pour effectuer une enquête et analyse d’accident? Ou est-ce que le travailleur pourrait participer dans le processus?
- Quelles pièces de la maison font partie de la zone de travail?
- Qui achète et entretien les équipements de bureaux?
- Quels sont les protections contre l’incendie?
- Est-ce que l’installation électrique des équipements du bureau est sécuritaire?
Étant dans un contexte inédit, plusieurs questions demeurent. L’accès à son domicile pour inspection ou enquête demeure-t-il le choix unique du travailleur? L’inspecteur de la CNESST, selon les circonstances, pourrait-il avoir accès au domicile du travailleur? Quoi qu’il en soit, le télétravail est là pour rester. Les entreprises devront naviguer entre un modèle à temps plein ou un modèle hybride. Le retour au bureau à 100% est loin d’être le modèle qui semble être préconisé actuellement.
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[1] Loi sur la santé et sécurité du travail, RLRQ c. S-2.1, art 51 par 3 et 5 [2] Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre, Ministère de la Justice, Avis sur le télétravail, 2020