Par Maryline Desharnais, M.A. Ergonome, B. Sc. Kinésiologue
On pense généralement à l’ergonomie lorsqu’il y a un problème existant en lien avec l’environnement de travail : un chauffeur s’est fait une entorse lombaire en manipulant une boite, une préposée aux chambres a des difficultés à faire le lit suite à l’arrivée d’un nouveau matelas, etc. Le but recherché est alors d’améliorer une situation de travail existante, souvent sans possibilité de modifier le poste même. Un aménagement parfois neuf et mal adapté.
Qu’est-ce que l’ergonomie de conception?
- C’est intégrer l’ergonomie dès les premières phases d’un projet de conception d’un espace de travail;
- C’est concevoir une nouvelle situation de travail en intégrant l’humain;
- C’est valider l’usage du poste avant sa fabrication afin d’éviter des corrections parfois coûteuses à court et long terme.
Quand peut-on l’appliquer?
L’ergonomie de conception peut être intégrée lors d’un réaménagement ou de rénovation, de l’implantation d’une nouvelle machine, d’un nouveau produit ou d’un nouvel outil, de l’agrandissement d’un département, de l’élargissement des tâches de travail et même d’un changement technologique.
En quoi consiste une démarche en ergonomie de conception?!
Analyser le travail
Réaliser une analyse adéquate des besoins, analyser l’existant, comprendre les futures exigences du travail, identifier la séquence de travail, les mouvements à effectuer, les acteurs impliqués, le contexte de réalisation, etc. Déterminer les besoins de l’utilisateur, puisque ces derniers ne sont pas toujours bien exprimés ou correctement pris en compte. Envisager les différents aspects de la future situation de travail dans la mesure du possible.
Intégrer une structure de communication entre les acteurs de conception et de la production
«L’intégration de l’ergonomie à la conception est avant tout une affaire de démarche et ne se limite pas à la seule utilisation d’outils (normes, logiciels de simulation, etc.).» L’ergonome est amené à comprendre les différents enjeux de chacun des départements et parties impliquées dans le projet. Il permet de faire le pont entre le point de vue fonctionnel des ingénieurs et cadres, les ressources humaines, le comité SST, sans oublier le point de vue opérationnel des travailleurs. C’est donc un processus collaboratif et participatif. Intégrer les travailleurs dans la démarche les amène notamment à se familiariser avec le travail futur, à exprimer leur opinion et augmente leur implication aux changements.
Élaborer des repères pour la conception
Déterminer des repères ergonomiques et des critères de performance pour guider les transformations actuelles et futures. Se baser sur des normes (ex. : CSA Z1004-12, ISO 14738, etc.) et sur des ouvrages reconnus en ergonomie tels que Kodak’s Ergonomic Design for poeple at work, pour appuyer et justifier les changements. Tenir compte des exigences liées au travail, aux déplacements, à la manutention, à la visibilité, etc. Est-ce que cette hauteur de poste sera compatible avec l’ensemble des travailleurs et des produits manipulés? Quelle est la meilleure posture pour réaliser cette tâche (assis, debout, assis-debout)?
Projeter l’activité future
Faire des simulations à l’aide de maquette ou de prototype pour mettre à l’épreuve les choix de conception. Transférer dans le nouvel espace les savoir-faire, les ressources, les stratégies de déplacements, etc. dans la réalisation des tâches. Mesurer l’utilisabilité du produit. Identifier les ralentissements, les imprévus, les pertes de temps et les difficultés. « L’approche de l’activité future possible n’est pas une tentative de prévision de l’activité, mais une prévision des marges de manœuvre, de l’espace à l’intérieur duquel pourra se déployer l’activité. La prévision de cet espace permet de repérer que des stratégies seront impossibles, que les comportements attendus sont improbables, ou que les zones de compromis probables seront coûteuses, certaines fonctions humaines étant obligatoirement sollicitées de façon excessive ou inapropriée » (Daniellou, 1996b).
Suivi
S’assurer que le résultat correspond aux attentes. Les objectifs de performance sont-ils atteints? La santé des travailleurs est-elle préservée? Procéder aux réajustements en cas de besoin.
Les erreurs à éviter en conception
- Se fier à la mention «ergonomique» sur l’étiquette: Le terme « ergonomique » est devenu par l’utilisation de son adjectif, un terme marketing vendeur et attrayant. Il faut donc être prudent et avoir un regard critique sur cette mention puisqu’elle ne garantit pas que le produit correspondra aux besoins, aux dimensions anthropométriques du travailleur et aux tâches.
- Avoir uniquement comme critère l’aspect visuel et le prix: Des critères ergonomiques de conception basés sur les besoins réels doivent être déterminés pour favoriser l’atteinte des objectifs d’efficacité, de confort et de prévention des blessures.
- Ne pas intégrer les travailleurs dans le changement: la connaissance de l’activité de travail des travailleurs constitue un atout au sein d’une dynamique de projet puisque ce sont eux qui réaliseront le travail. « La participation des opérateurs à de telles démarches de conception constitue pour eux une formation approfondie à la connaissance des nouvelles installations » (Danielle, 1996b). Les travailleurs sont également capables de repérer des éléments insuffisamment pris en compte au cours de la démarche et d’y apporter des solutions rapides.
- Intégrer les travailleurs dans la démarche, mais ne prendre aucune de leur proposition au final. Les travailleurs ont une connaissance plus approfondie de leur propre activité de travail et connaissent bien les dysfonctionnements actuels. Refuser de considérer leurs idées d’amélioration, c’est courir le risque que des éléments importants ne soient pas pris en compte dans les plans et engendrent ou répètent des problématiques déjà présentes.
- Avoir des postes fortement utilisés, mais sans possibilité d’ajustement: Plus les ajustements au poste seront multiples, plus le poste pourra s’adapter à un grand nombre d’utilisateurs et de tâches. L’utilisateur pourra donc atteindre, maintenir et manipuler facilement des pièces d’outils le plus proches possibles et dans des postures acceptables. Bien important de rechercher des produits qui se règlent pour s’ajuster aux plus grands et aux plus petits.
En somme, l’ergonomie est plus efficace quand elle est intégrée dès l’étape initiale d’un projet. Une mauvaise conception d’un poste de travail coûte cher et peut entraîner des postures contraignantes, de l’inconfort et des pertes de productivité importantes (INRS, 2013). De plus, corriger ces situations de travail conçues de manière incomplète peut se révéler très difficile et onéreux.
Pour 2019, je vous invite à identifier les prochains changements et projets dans votre entreprise et à y intégrer l’ergonomie dès le début !
Sources
– Daniellou F. Questions épistémologiques soulevées par l’ergonomie de conception. 1996.
-Hendrick, Applying ergonomics to systems: Some documented « lessons learned », 2008.
-INRS, Conception des machines et ergonomie, Une démarche pour réussir l’intégration des exigences du travail. 2013.
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