Par Karine Rochette, préventionniste
Qui se souvient que depuis au moins 2001, au bas de l’article 131 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) est écrit ce qui suit ?
Le temps d’exposition permis pour tout travailleur à chaque niveau de bruit indiqué au tableau précédent est diminué de moitié, à compter d’une date qui sera déterminée par règlement en vertu de l’article 223 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1). D. 885-2001, a. 131.
Et bien ça y est, cette fois nous y sommes, 20 ans plus tard! La Gazette officielle du Québec du 16 juin 2021, 153e année, no 24, très précisément, nous annonce enfin ce en quoi nous ne croyions plus… la refonte complète de toute la section XV sur le bruit, ainsi que la globalité de ces définitions. Regardons si cela changera vraiment quelque chose pour la majorité des entreprises ayant des enjeux au niveau du bruit.
Commençons par les définitions présentes dans la section I du Règlement. Toutes celles ayant un lien avec la section XV changeront ou seront retranchées pour faire place à de nouvelles. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, mais en gros ; disparaîtront les Bandes de fréquences prédominantes, Bruit continu, Bruit d’impact, dB, dBA corrigé, dB linéaire et Valeur de crête pour faire place au nouveaux vocables Bruits impulsionnels, NF EN, Niveau d’exposition quotidienne au bruit, Niveau de pression acoustique continu équivalent (dBA). De plus la Définition de dBA sera remplacée par 2 nouveaux concepts soit dBA pondération A et dBC pondération C. Ne vous en faites pas si vous n’y entendez rien, seuls les hygiénistes ont compris quelque chose de ce que vous venez de lire. En gros, retenez que le langage s’est modernisé. Si tout le langage de définition est nouveau, il va de soi que l’annexe VII qui décrivait la méthode de mesure des bandes prédominante (en dBA corrigés), n’existe plus dans la nouvelle version du règlement.
Cela dit, vous comprendrez qu’avec de nouvelles définitions viennent de nouveaux calculs, je laisserai le plaisir à plus féru que moi de s’y attaquer et je ne les évoquerai pas. Je m’en tiendrai à la science molle du règlement, mais vous avez déjà compris que si tout le vocabulaire s’est modernisé, toute la section sur le bruit a dû être réécrite par les législateurs. Donc je regarderai ici s’il y a des différences pour l’employeur et comment il pourra se conformer.
Premièrement on commence en force. L’article 130, le premier de cette section, est celui qui détermine la ligne directrice de tout ce qui va suivre. On y déplace l’obligation de l’établissement, lieu physique, qui devait être conçu, construit, aménagé de façon à respecté les normes vers un objectif d’éliminer ou de réduire le bruit à la source, où à tout le moins, réduire l’exposition des travailleurs au bruit. La table est mise.
Allons-y en premier avec ce qui fera le plus mal, du moins, pour les entreprises qui ont une ambiance bruyante. Le RSST actuel permet grossièrement une exposition à 90 dBA /8h ou 87dBA /12.1heures. La nouvelle obligation que vous retrouverez à l’article 137 après les modifications nous amène à 85dBA / 8h et 83 dBA / 12h. En nous rappelant que l’échelle de bruit en est une logarithmique, ce qui signifie qu’à chaque 1 ou 2 dB on diminue le bruit de moitié, c’est non négligeable. Les entreprises qui avoisinaient déjà la limite maximale jusqu’à aujourd’hui devront donc s’atteler à la tâche et se prévoir des budgets rapidement.
L’article 136 actuel, concernant les mesures correctives et les équipements de protection individuel stipulait l’ordre de mise en œuvre des moyens et dans l’ordre suivant nous devions :
1° réduire le bruit à la source;
2° isoler tout poste de travail exposé à ce bruit;
3° insonoriser les locaux de travail.
Et dans le cas où il se révélait impossible de respecter les normes, ou en attendant que les transformations requises soient réalisées, l’employeur devait fournir des protecteurs auditifs ou limiter le temps d’exposition conjointement à un programme audiométrique. Comme vous le voyez, aucune notion de temps n’était incluse pour mettre en place tout ceci.
Bref, les entreprises avaient de la marge et très peu ont fait avancer ce dossier dans les dernières années. De leur côté, les inspecteurs gouvernementaux avaient très peu de corde pour nous pendre ou pour, dirons-nous, aider les entreprises à progresser dans leurs efforts. En venant dans nos entreprises bruyantes, les inspecteurs de la CNESST tentaient bien quelques mots, mais savaient pertinemment que le règlement ne leur donnait que très peu de pouvoir. Donc, préparez-vous et attachez votre tuque avec de la broche, le remplacement de la section XV n’aura plus autant de mou dans sa refonte.
Dorénavant, sera précisé dans les obligations générales, au nouvel article 132, que l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour éliminer ou réduire le bruit à la source ou, à tout le moins, réduire I’ exposition des travailleurs au bruit. De tels moyens doivent également être pris lors de I’achat ou du remplacement d’une machine ou d’un équipement, en vue de faire I’acquisition de ceux qui sont les moins bruyants. (Disons qu’on nous prend un peu plus par la main que ce qu’on connaissait jusqu’à maintenant). On y voit, au futur article 133, que lors de changement qui présente un risque de dépassement des valeurs (bien oui, vous avez bien lu, on ne parle pas de dépassement, mais d’être proche de dépasser), l’employeur aura 30 jours pour identifier ce fait et dans l’année qui suit, faire faire le mesurage où débuter la mise en œuvre d’un moyen raisonnable pour éliminer ou réduire le bruit à la source à moins que ne soit réduit l’exposition des travailleurs au bruit. (Et vous vous doutez bien que, tous n’étant pas doté du même sens de la raison, le mot raisonnable nous sera précisé dans un article subséquent… j’y reviendrai)
Aux articles suivants, on lit que : l’employeur doit, tous les 5 ans, évaluer chaque situation de travail qui présente un dépassement des valeurs limites d’exposition afin de déterminer les moyens raisonnables qui permettent d’éliminer ou de réduire le bruit à la source. Dans l’année qui suit cette évaluation, on doit débuter la mise en œuvre de tous les moyens permettant d’éliminer ou de réduire le bruit à la source. Ces moyens doivent être complétés avant le début de la prochaine évaluation quinquennale. (Le mot d’ordre sera : Suivi)
Le nouvel article 135 nous définira les moyens raisonnables qu’on doit mettre en œuvre pour permettre d’éliminer ou de réduire le bruit à la source, notamment le remplacement d’une machine ou d’un équipement par des moins bruyants, son entretien et son maintien en bon état de fonctionnement ou la réalisation de correctifs sur ceux-ci. On pourra également prendre les moyens raisonnables qui permettent, selon leur efficacité, de:
1- limiter la propagation du bruit, notamment par l’encoffrement d’une machine ou d’un équipement ou I’ insonorisation d’un local ou d’un lieu de travail;
2- agir sur I’ exposition du travailleur, entre autres, par l’isolation d’un poste de travail. Même lorsqu’il ne sera pas possible de respecter les valeurs limites d’exposition, l’employeur devra mettre en œuvre tous les moyens raisonnables qu’il a identifiés, même si ceux-ci ne permettent pas de réduire le bruit suffisamment pour respecter les valeurs limites d’exposition. (Donc si vous n’aviez pas déjà compris, on devra dépenser pour au moins essayer, contrairement à la vision actuelle plus passive).
Et c’est ici que j’en reviens aux protecteurs auditifs dont je vous parlais dans notre règlement actuel et qui étaient si faciles à distribuer sans ne rien faire d’autre. L’article 136 nous instruira sur le fait que l’employeur devra réduire l’exposition au bruit quotidien ou fournir des protecteurs auditifs dans les situations suivantes :
1- durant la période nécessaire à la mise en œuvre d’un moyen raisonnable;
2- durant la période nécessaire à la réparation ou à I ‘entretien d’une machine ou d’un équipement;
3- lorsqu’il n’est pas possible de respecter les valeurs limites d’exposition.
Donc si vous avez bien compris ce que je viens d’expliquer, les travailleurs ne devraient pas porter de protection auditive beaucoup plus que 6 ans si tout a bien fonctionné pour réduire le bruit. Sinon, nous devrons avoir des preuves en main sur l’impossibilité de tenter autre chose pour réduire le bruit, car tout aura été tenté.
Les législateurs sont encore allés un peu plus loin dans leur précision avec le nouvel article 141.2. On y lit que si vous fournissez des protecteurs auditifs, vous devrez les accompagner d’une formation théorique et pratique couvrant :
1- les éléments à considérer dans le choix des protecteurs auditifs et leur utilisation en fonction des différentes situations de travail;
2- leur ajustement;
3- leur inspection;
4- leur entretien;
5- les risques associés au bruit et I’importance du port de ces protecteurs pendant toute la durée de I’exposition au bruit.
Maintenant, si certains croyaient que j’avais inventé le mot Mesurage, utilisé plus haut, sachez que c’est le titre du nouvel article 138 où on parle des mesures du niveau quotidien de bruit lorsque :
1- Aucun moyen raisonnable ne peut être mis en œuvre;
2- La mise en œuvre de I ‘ensemble des moyens raisonnables est complété.
De plus, ce mesurage devra être effectué dans les 30 jours de la fin du délai prévu pour I’identification d’un moyen raisonnable ou de la date où la mise en œuvre de celui-ci est complétée, selon le cas.
Ces mesurages devront être effectués selon une des normes suivantes et l’équipement de mesure doit aussi correspondre à l’une d’elles:
– Acoustique – Détermination de I ’exposition au bruit en milieu de travail – Méthode d’expertise, ISO 9612:2009
– Mesure de l’exposition au bruit, CSA Z107.56-13, 2014
Mais n’ayez crainte, vous devriez avoir le bon appareil de mesure puisque dorénavant, on ne pourra plus prendre les mesures nous-mêmes. Elles devront être prises soit :
– Par un technicien formé en hygiène ou en acoustique
– Par une autre personne qui maîtrise les règles de l’art relatives au mesurage du bruit.
Vous pourrez chaperonner cette personne tant que cette dernière conserve l’entière responsabilité du mesurage. Donc tant qu’à faire venir un spécialiste, je présume qu’il arrivera avec le bon matériel. Une fois reçus, les rapports de Mesurage devront être affichés maximum 15 jours après réception et doivent être facilement visibles des employés pour un minimum de 3 mois.
Dans notre RSST actuel, l’article 137 sur les protecteurs auditifs citait la norme Protecteurs auditifs, ACNOR Z94.2-1974. Le nouveau règlement modernisera aussi un peu les normes donc pour ceux qui veulent commencer à regarder si ce qu’ils ont déjà en place résistera aux 6 prochaines années vous pouvez vous référer à l’une des suivantes :
- Protecteurs auditifs : performances, sélection, entretien et utilisation, CSA Z94.2-2-2014
- Protecteurs individuels contre le bruit – Recommandations relatives à la sélection, à I’utilisation, aux précautions d’emploi et à I ‘entretien – Document guide, NF EN 458 :2016:
- Protecteurs individuels contre le bruit – Exigences générales ou Exigences de sécurité et essais, selon le cas: NF EN 352-1à7
Cependant, peu importe le protecteur auditif que vous choisirez, il doit atténuer le bruit assez pour que le travailleur ne soit pas exposé à plus de 85 dBA / 8h ou tel que précisé aux calculs du nouvel article 131.
Le dernier ajout d’importance porte sur la documentation. L’employeur devra avoir un registre qu’il tiendra à jour et qui inclura 3 éléments soi :
1- les situations de travail à risque de dépassement des valeurs limites d’exposition au bruit et la date à laquelle elles ont été identifiées;
2- les moyens raisonnables réalisés et la date du début et de la fin de leur mise en œuvre;
3- les rapports de mesurage.
L’employeur devra maintenant conserver ces informations durant une période minimale de 10 ans.
Maintenant que tout ceci est dit, vous serez sans doute intéressé de savoir quand tout ceci sera mis en place et combien de temps vous aurez pour vous conformer. La gazette officielle du 16 juin de cette année nous laisse un an avant que le nouveau règlement prenne la place de l’ancien, à la suite de quoi l’employeur disposera d’un délai d’un an pour identifier les situations de travail à risque de dépassement des valeurs limites d’exposition dans son établissement; ce qui représente un changement de situation prévu à l’article 134. (L’article 134, dira, je le rappelle que l’employeur aura 30 jours suivant une modification pour faire un mesurage et que ces modifications pour réduire le bruit doivent être fait dans les 5 ans suivant l’identification). La nouvelle loi nous permettra aussi, lors de sa mise en application (seulement) d’utiliser les résultats de mesurage effectués dans les deux ans qui précèdent I’entrée en vigueur du présent règlement, aux fins de I’obligation de mesurage prévu à I’article 138 si les conditions suivantes sont respectées:
1- le mesurage a été effectué conformément aux obligations du présent règlement;
2- depuis ce mesurage, aucun changement n’est survenu dans la situation de travail visée par celui-ci.
Cela veut dire en langage clair que si vous voulez commencer tout de suite en prenant les calculs et les méthodes du nouveau règlement, vous pouvez déjà vous y mettre.
Subséquemment, vous constaterez que si le chapeau vous va, ceci représente un changement majeur dans la façon d’aborder le bruit en milieu de travail. Je tiens aussi à rappeler à ceux qui l’ont oublié ou ne le savent pas que dans le plan triennal de la CNESST 2020-2023, le bruit est une des cibles. Les inspecteurs auront probablement l’ouïe plus fine lors de leur prochaine visite et risquent de demander plus de preuves des avancées en la matière. Ma recommandation : n’attendez pas la dernière minute avant de vous attaquer à ce dossier.
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