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Par Simon Paradis, préventionniste

En matière de gestion des comportements sécuritaires au travail, ce dont on entend le plus parler, c’est sans contredit l’application de mesures disciplinaires en cas de non respect des procédures, dès règles et des méthodes de travail établies. Il est vrai que l’application de sanctions est une obligation d’ordre légal pour l’employeur dans ces situations, tel que l’exige le devoir d’autorité en matière de diligence raisonnable. L’article 51, par. 9 LSST[1] fait aussi référence à l’obligation de supervision et va donc dans le même sens.

Sans nier l’importance du devoir de discipliner les travailleurs lorsque cela est requis, un système SST efficace peut aussi, en combinaison, répondre aux comportements sécuritaires. Le renforcement positif suivant l’adoption de tels comportements aura un effet très bénéfique dans la prise en charge de la santé et de la sécurité dans votre milieu et sur la participation des travailleurs à l’atteinte de vos objectifs.

L’être humain… À la recherche constante de bénéfices et de situations agréables

Comment expliquer cette puissance du renforcement positif pour engendrer une répétition par l’individu de l’acte ou du comportement ayant mené à ce renforcement ? La réponse est simple. De par sa nature, l’être humain recherche constamment les situations agréables, soit des situations qui lui sont bénéfiques. Même dans l’exercice des plus grands crimes de ce monde, ces mêmes motifs sont au cœur des décisions qui ont poussé les personnes responsables à agir. L’individu qui commet l’acte ou le geste le fait suivant une analyse personnelle de la situation. De par son analyse, il y a une domination des bénéfices VS les conséquences négatives.

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Cette analyse peut varier d’un individu à un autre, selon ses valeurs personnelles, sa personnalité, mais surtout, l’expérience passée des bénéfices tirés d’une situation. Les grands braqueurs de banque internationaux n’auraient certainement pas fait de multiples récidives si de un, ils n’avaient pas évalué des bénéfices potentiels plus élevés que les conséquences négatives potentielles et de deux, s’ils n’avaient pas tiré réellement ces bénéfices suivant leurs expériences.

Le renforcement positif génère ainsi des situations agréables pour l’individu et à contribue à développer ses valeurs personnelles liées à l’adoption des comportements sécuritaires ayant mené à ce renforcement. Il répond également à son besoin fondamental d’estime (appréciation, reconnaissance), soit l’un des besoins au sommet de la pyramide de Maslow.

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Ce besoin d’estime est très prisé par les nouvelles générations sur le marché du travail. Autrefois, en temps de guerre, les travailleurs donnaient leur prestation de travail dans le but premier de recevoir un salaire et d’assurer une certaine forme de sécurité à la famille. Ces besoins correspondaient ainsi davantage aux besoins exprimés à la base de la pyramide de Maslow. Aujourd’hui, le travail est davantage un lieu de réalisation personnelle où le travailleur a besoin de se sentir reconnu et valorisé pour le travail accompli. Mentionnons que d’ici 2020, le groupe des baby boomers ne sera plus dominant sur le marché du travail.

Dans un tel contexte, on peut croire que le renforcement positif peut être un outil mobilisateur très puissant, notamment en matière d’atteinte des objectifs en santé et sécurité de l’entreprise.

Une citation recueillie dans un article sur le sujet aborde dans le même sens :

« L’outil le plus puissant pour modifier un comportement consiste à accroître le nombre d’interactions positives pour reconnaître les comportements appropriés ».

Sprick, Randall S.

En termes de mobilisation vers l’atteinte des objectifs SST, le renforcement positif et la sanction sont-ils tous les deux aussi efficaces ?

 

Renforcement positif ou sanction comme moyen le plus efficace de mobilisation ?

Nous l’avons mentionné, le renforcement positif amène chez l’individu une situation agréable. Les comportements et les actes ayant mené à ce renforcement ont donc de très fortes chances de se répéter dans l’avenir. Mais dans le cas de la sanction (application de mesures disciplinaires), qu’est-ce qui motive l’individu à ne plus commettre le comportement ou l’acte en cause ?

Il s’agit de la peur. En effet, l’individu qui a peur de recevoir une telle sanction sera moins tenté de répéter le comportement ou l’acte en question. Toutefois, certains ont du mal à comprendre du premier coup, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle une progression des sanctions est requise.

Mais pourquoi donc les chances de récidives sont plus élevées via la sanction ? C’est sans aucun doute parce que la peur n’a pas le même effet de contrôle sur l’individu que ses valeurs personnelles. En effet, les valeurs personnelles sont beaucoup plus puissantes pour contrôler les actes et les comportements.

La courbe de Bradley développée par la compagnie Dupont exprime l’évolution d’une culture SST en 4 stades. Cette courbe a été développée suite au sondage de milliers d’individus à travers le monde et est encore aujourd’hui une grande référence en santé et sécurité. Plus on évolue dans les stades, plus le nombre de lésions, par le fait même, diminue.

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Ce qui est intéressant à noter, c’est que le premier stade de véritable prise en charge de la santé et de la sécurité, le stade dépendant, tient sur le fait que les individus ont peur de la sanction et que l’entreprise applique un nombre non négligeable de sanctions pour entretenir cette peur. Puis, pour évoluer vers le stade indépendant et connaître une baisse supplémentaire du nombre de lésions, cela nécessite que les individus aient la santé et la sécurité comme valeur personnelle. De plus, à ce stade, la reconnaissance individuelle est au cœur des préoccupations.

Comme nous l’avons mentionné, le renforcement positif est un outil de premier choix pour contribuer à développer cette valeur personnelle et donc, pour faire évoluer votre entreprise vers le stade indépendant.

De plus, si on jette un œil sur la pyramide de Bird, on peut facilement constater que le renforcement positif suivant l’adoption de comportements sécuritaires peut avoir des bénéfices, et ce, en s’attaquant directement à la base de la pyramide qui suppose l’adoption de plusieurs comportements non sécuritaires pour expliquer la survenance de lésions, des plus banales aux plus graves.

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Mais qu’en est-il du renforcement positif comme preuve de diligence raisonnable ?

 

Diligence raisonnable SST et devoir de supervision… Le renforcement positif a-t-il sa place ?

En matière de diligence raisonnable, nous l’avons mentionné, l’application de mesures disciplinaires permet pour l’employeur de démontrer qu’il exerce son devoir d’autorité.

En ce qui concerne le renforcement positif, on peut se demander s’il peut lui aussi permettre de démontrer sa diligence ? La réponse est oui, puisqu’en matière de diligence raisonnable, le devoir d’efficacité est aussi à démontrer par l’employeur et que ce devoir consiste en partie à démontrer que l’employeur exerce son rôle de supervision SST. Ainsi, puisque superviser consiste à contrôler la réalisation du travail accompli par d’autres, le superviseur qui s’arrête devant une situation positive (observation) et qui amène une rétroaction au travailleur, exerce, par le fait même, son rôle de supervision. Si cette rétroaction positive est documentée, elle pourrait donc ainsi être utilisée en preuve d’accomplissement du devoir d’efficacité.

Maintenant, on peut se demander pourquoi le renforcement positif est si peu répandu en milieu de travail.

Pourquoi ne faisons-nous pas suffisamment de renforcement positif en matière de santé et de sécurité ?

Le renforcement positif en matière de santé et de sécurité est un phénomène peu documenté et peu répandu. Pourtant, les bénéfices mentionnés précédemment sont très significatifs. Mais pourquoi donc ?

D’abord, il faut dire que pour que du renforcement positif soit fait par le superviseur suivant des comportements sécuritaires, ce dernier doit être lui-même hautement mobilisé vers l’atteinte des objectifs SST. Il doit ainsi avoir les outils pour le faire et bien connaître ses obligations en tant que superviseur. Certains superviseurs ne sont pas mobilisés et on peut dont facilement comprendre qu’ils ne chercheront pas eux-mêmes à mobiliser d’autres personnes…

Ensuite, on peut mentionner que la reconnaissance au travail, qui est directement liée au renforcement positif, est un phénomène très peu répandu de façon générale au Québec. En effet, une étude récente de l’IRSST[2] mentionne que 42% des travailleurs estiment recevoir une faible reconnaissance au travail. C’est donc près de la moitié des travailleurs !

Le rythme auquel s’effectue actuellement le travail est aussi très préoccupant. De plus en plus, les entreprises essaient de faire plus avec moins de ressources. Il en résulte que les superviseurs ont des échéanciers très serrés à respecter et peu de temps pour le réaliser. Le superviseur a donc souvent, par le fait même, moins de temps pour s’attarder à faire du renforcement positif.

Autre point important pour expliquer la faible popularité du renforcement positif, plusieurs mythes existent autour de cette pratique. D’abord, certains vont croire que la personne à qui s’adresse le renforcement positif va ralentir la cadence. D’autres vont croire que cela risque de causer de la jalousie autour. Certains vont mentionner que la déclaration des lésions risque d’en être affectée, si par exemple le renforcement positif suit l’atteinte d’une certaine période sans accident. Il est vrai que ces répercussions pourraient se présenter, mais en évitant certains pièges mentionnés plus loin dans cet article, ces problèmes peuvent facilement être évités.

Maintenant, comment procéder ?

 

Différents moyens d’utiliser le renforcement positif en milieu de travail comme outil de mobilisation vers les objectifs SST

Il existe deux principales formes de renforcement positif au travail : le renforcement positif individuel et le renforcement positif collectif.

En ce qui concerne le renforcement positif individuel, plusieurs situations peuvent être propices à en faire. Par exemple, on pourrait en faire lorsque le travailleur observe respecte une nouvelle règle, une nouvelle procédure ou encore une nouvelle méthode de travail mise en place. Également, cela pourrait être fait lorsque le travailleur s’est amélioré récemment à ce niveau ou lorsqu’il a rapporté une situation dangereuse ou encore une suggestion d’amélioration. Bref, les situations possibles sont nombreuses.

Le renforcement positif individuel peut prendre plusieurs formes, soit des félicitations verbales, des remerciements, une tape sur l’épaule ou une poignée de main. Cela peut aussi être la remise d’un prix dans le cadre d’un concours SST organisé, par exemple. Ce concours pourrait faire suite à la déclaration de situations dangereuses évaluées, à une innovation en résolution de problèmes, etc.

Il y a cependant des pièges à éviter. Ces erreurs pourraient faire déprécier l’efficacité du renforcement positif. D’abord, il faut éviter de sur doser le renforcement positif. S’il est trop fréquent, il perd sans aucun doute de son efficacité. Il faut ainsi rechercher l’effet de surprise ! Ensuite, le renforcement positif individuel devrait toujours se faire en privé avec la personne concernée. Vous évitez ainsi de créer de la jalousie inutile autour. Également, il ne faut pas attendre trop longtemps entre la réalisation de l’acte ou du comportement positif et le renforcement proprement dit. Le moment est toujours plus propice lorsque les choses sont fraîchement réalisées. Finalement, il faut éviter de discipliner sans faire de renforcement positif lorsque la problématique a été corrigée par l’individu. Toutefois, il faut éviter de rapprocher les deux situations. Attendez quelques semaines suivant l’adoption du comportement souhaité pour le souligner, lorsque l’individu a été discipliné récemment pour ne pas avoir adopté le bon comportement.

Différents moyens existent pour effectuer le renforcement positif individuel. Ainsi, il peut être fait spontanément lorsque le superviseur se déplace dans l’usine et observe une situation positive. Certaines entreprises remettent aussi des agendas SST à leurs superviseurs (carnets avec une page vide pour chaque journée). Le superviseur doit inscrire au minimum une observation SST par jour. Cela peut être un commentaire, mais aussi l’observation d’un comportement positif ou négatif. Le superviseur doit aussi inscrire l’action ayant découlé de l’observation. Le renforcement positif peut donc facilement être l’action découlant d’une observation sécuritaire. Également, le renforcement positif individuel peut être réalisé dans le cadre de concours SST, lors des inspections des lieux de travail, lors de l’évaluation du rendement, etc.

Quant au renforcement positif collectif, il vise un groupe. Il peut être réalisé pour souligner les efforts collectifs, ainsi que l’atteinte des résultats SST. Cela peut être fait lors d’un discours (ex : rencontres superviseur-employés), par des photos affichées démontrant des comportements positifs observés, par la remise de prix soulignant l’effort collectif ou l’atteinte de résultats, etc. L’un de nos clients qui a atteint 100 000 heures sans accident de travail a d’ailleurs, cet été, organisé un dîner BBQ pour tous ses employés et a procédé à l’aménagement d’une nouvelle aire de repos extérieure. Bref, avec un peu d’imagination, les idées peuvent être bien nombreuses.

Mais il y a aussi des pièges à éviter avec le renforcement positif collectif. D’abord, il ne faut pas faire du renforcement positif lié aux résultats seulement. Souvent, les résultats sont longs à démontrer et il faut donc souligner l’effort pour atteindre ceux-ci. Ensuite, si on vise l’atteinte d’une certaine période sans accident, il ne faut pas négliger le risque de voir apparaître une sous-déclaration des lésions. Il faut donc, en parallèle, rappeler aux travailleurs qu’ils doivent déclarer leurs lésions en tout temps. Finalement, il faut éviter une trop longue période entre la récompense collective et l’atteinte de l’objectif. Par exemple, si on souhaite organiser un repas collectif pour féliciter les employés d’un nombre de jours X sans accident, il serait très déplorable qu’un accident survienne entre le jour de l’atteinte de l’objectif et l’événement soulignant cette réalisation. L’effet escompté en serait grandement affecté.

En sommes, le renforcement positif amène une situation bénéfique à l’être humain. Les nouvelles générations ont des besoins fondamentaux qui concordent avec le besoin de renforcement positif dans leur travail. Ce renforcement positif contribue à instaurer une culture SST basée sur les valeurs des individus. De plus, le renforcement positif a une bien plus grande efficacité que la discipline pour mobiliser les personnes vers l’atteinte des objectifs SST. Toutefois, la discipline a sa place et demeure une obligation légale. Les deux méthodes de gestion du comportement devraient donc cohabiter dans un système de gestion SST efficace. Finalement, il existe plusieurs formes de reconnaissance. Chacune a ses avantages, mais certains pièges doivent être évités.

 

[1] Loi sur la santé et la sécurité du travail

[2] Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en Sécurité du travail

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